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Le secteur des transports étant le premier émetteur de gaz à effet de serre (30% des émissions nationales), la décarbonation des transports et des mobilités est impérative pour espérer atteindre l’objectif de zéro émission nette en 2050 en France. Cela va nécessiter une impulsion forte à court terme et une politique étatique volontariste : la réduction des émissions devra être drastique et atteindre 55% dès 2030 pour le seul secteur des transports.

Alors que le Président de la République a présenté, le 25 septembre dernier, les grands axes de la planification écologique, notamment dans le secteur des transports, ce billet expose une vision globale de la décarbonation des déplacements du quotidien par voie terrestre en France qui ont longtemps constitué un angle mort des politiques publiques alors qu’ils représentent des enjeux sociaux et environnementaux essentiels

Une triple rupture dans la politique publique des transports

Pour mener à bien cette décarbonation, une triple rupture dans la politique publique des transports devra être engagée : dans les ambitions (il faudra associer étroitement l’agenda environnemental et social), dans la conception (il s’agira d’inclure une perspective multimodale/systémique), dans la mise en œuvre (mieux associer l’ensemble des niveaux de gouvernance et acteurs de l’écosystème des mobilités). Les solutions devront combiner évolutions techniques et efforts de sobriété. Jusqu’à présent, l’action et les résultats ont trop souvent fait défaut, en cause : une gouvernance extrêmement fragilisée, une acceptabilité pas toujours assurée en amont et un financement qui n’est pas à la hauteur des enjeux.

La décarbonation des transports et des mobilités est un « enjeu surplombant », qui sert de nombreux objectifs de moyen terme (indépendance énergétique, pouvoir d’achat, cohésion territoriale) et de plus long terme (neutralité carbone, résilience, santé, biodiversité). Pour maximiser les impacts, la décision publique doit être déterminée en tenant compte de ces multiples dimensions.

Par ailleurs, un regard rétrospectif sur les crises récentes (gilets jaunes, Covid-19, crise énergétique) révèle que la décarbonation des transports présente une valeur « assurantielle », c’est-à-dire de protection des Français face aux chocs, dont il convient de mieux tenir compte pour éclairer les choix à venir.

L’approche que nous proposons (i) conjugue sobriété, report modal vers le ferroviaire et décarbonation de la route, dont l’usage est prédominant et pérenne, (ii) s’inscrit dans une logique territoriale, pour adapter les solutions aux caractéristiques de chaque territoire et (iii) active les leviers de nature à donner des résultats tangibles dès la présente décennie.

Des grandes séries de propositions pour relever le défi

  • Alors que l’électrification de la mobilité représente le levier le plus efficace de décarbonation, il faudra accompagner l’électrification de la mobilité routière individuelle. D’une part, en réallouant les aides à l’acquisition des véhicules électriques vers l’industrie, en amont, et vers les usages les plus vertueux (sur la base notamment d’un critère de poids des véhicules) et les publics les plus contraints (leasing social, aides à l’achat de véhicules d’occasion, aides au retrofit électrique, etc.). D’autre part, en déployant, pour les trajets interurbains, un maillage dense de bornes de recharge électrique ultra-rapides, fiables et à un tarif compétitif sur routes et autoroutes – il est pour cela nécessaire de mettre en place un schéma directeur pour assurer une cohérence à l’échelle du territoire et coordonner les investissements. Le renforcement des obligations réglementaires et le soutien public fort via des mécanismes fiscaux peuvent expliquer la dynamique enclenchée au profit de l’électrique.

 

  • La décarbonation des transports impliquera aussi de réussir l’« Acte II » du ferroviaire, en programmant et priorisant les investissements (en faveur notamment de la régénération et de la modernisation du réseau ferroviaire, des gares, des RER et du fret ferroviaire), en améliorant l’articulation entre travaux et trafic (notamment pour le fret longue distance) et en mettant en place des financement adéquats et pérennes pour financer les infrastructures et le matériel roulant, sans augmenter les péages. Ces investissements devront être pensés dans une perspective multimodale (transport combiné dans le fret, interconnexion des gares avec les autres mobilités). La programmation de ces investissements dans une loi devrait permettre de construire un consensus et d’inscrire ces investissements dans la durée.

 

  • Pour décarboner les mobilités et donc lutter contre l’autosolisme, il faut déployer un plan ambitieux de service de haut niveau et peu cher de lignes de cars express et de covoiturage pour développer les mobilités partagées dans les territoires, dans le cadre d’une approche territoriale et systémique intégrant à la fois les services et les infrastructures (avec des pôles d’échanges multimodaux et des voies réservées pour permettre une fluidité de trafic). Des mesures réglementaires pourraient être incluses dans le cadre de la mise en place des zones à faibles émissions.  

 

  • La pratique du vélo est la mobilité la plus vertueuse : il s’agira donc, pour décarboner les mobilités, de faire du vélo un moyen de transport massifié, qui ne soit plus circonscrit aux cœurs d’agglomération et aux populations les plus aisées et donc de lutter contre les disparités territoriales. Le développement des vélos à assistance électrique pourrait être une solution mais leur coût pose encore problème malgré les aides publiques. L’aménagement de parkings à vélos sécurisés à proximité des plateformes multimodales ou gares constitue une solution facile à mettre en place.   

 

  • Avec la guerre en Ukraine, la question de l’indépendance énergétique s’est imposée comme un enjeu prioritaire qui devra passer par l’utilisation des infrastructures de transport pour produire de l’énergie verte, en exploitant le gisement important de production d’électricité photovoltaïque sur le foncier des gestionnaires d’infrastructures, qui est exempt de conflits d’usages et de problème d’acceptabilité. Les procédures actuelles devraient être simplifiées.

 

  • L’amélioration de la résilience face aux risques naturels étant centrale, il s’agira aussi d’adapter les infrastructures de transport au changement climatique en préservant les continuités écologiques. Le changement climatique nécessite des actions rapides et radicales et la politique d’adaptation doit être déterminée selon des dérives extrêmes – le ministre Christophe Béchu a annoncé vouloir préparer la France à un scénario +4°C. La prise en compte de l’adaptation dans les programmes d’investissements publics devrait être systématisée.

Gouvernance, régulation et financement

La mise en œuvre de ces orientations suppose une gouvernance plus efficace et plus adaptée, sans attendre une nouvelle réforme. Cette gouvernance devra s’appuyer sur deux volets : la régulation et l’investissement. Dans le cadre général défini au niveau européen, l’État doit mieux jouer son rôle stratégique, dans la planification des projets et dans leur exécution, en s’organisant plus résolument « en mode projet ». L’Etat devrait fixer un cadre général dans une grande loi de programmation de la décarbonation des transports. Au niveau local, il convient de privilégier les niveaux territoriaux les plus agrégés et d’améliorer la coopération entre autorités organisatrices de la mobilité (AOM), en utilisant pleinement les outils contractuels à leur disposition. Le modèle des sociétés de projet présente un réel intérêt pour mettre en œuvre les projets en réunissant l’ensemble des acteurs impliqués.

La régulation sera également clé pour accélérer la décarbonation des transports et des mobilités, une approche systémique de la régulation doit être adoptée et conçue de manière cohérente, efficace et équitable. Deux voies sont à ce titre envisageables. D’une part, la tarification du carbone : (i) soit par une approche généralisée, en combinant le marché carbone européen et la composante carbone de l’accise sur les énergies pour atteindre l’objectif de 100 € la tonne en 2030 et en allouant les recettes à un chèque climat pour les plus modestes et à la décarbonation des transports, (ii) soit par une approche plus localisée du signal-prix, reposant sur des péages urbains d’un montant faible (1 à 2€ par jour), exemptant les publics les moins aisés et affectés à un programme de mobilité dans l’aire urbaine. D’autre part, des interdictions ou mesures de « forçage » réglementaires assorties de sanctions financières élevées (quotas de renouvellement pour les flottes d’entreprises notamment). Dans le contexte actuel, cette dernière voie semble dans l’immédiat plus praticable et donc préférable.

Décarboner les transports impose de résoudre une équation financière particulièrement complexe : répondre à court terme à des besoins d’investissement massifs, maîtriser les finances publiques et être acceptable par les Français (sans augmentation de la pression fiscale globale) et équitable. Pour y répondre, il faut, d’une part, allouer l’argent public au développement des technologies pertinentes, pour les amener à maturité, et aux investissements qui ne présentent pas un modèle économique suffisamment attractif pour les investisseurs privés et, d’autre part, mobiliser autant que possible les acteurs privés. La note propose des pistes à instruire pour dégager de nouvelles ressources publiques pour les transports : arbitrages intersectoriels, affectation issue des recettes de la taxation carbone ou des sanctions financières attachées aux mesures de « forçage » réglementaires, taxe sur la détention des véhicules dans le cadre d’une remise à plat du système, captation de la rente foncière, valorisation d’actifs, mise à contribution de certains secteurs dans le respect du droit applicable, augmentation de la contribution des usagers… Il s’agit aussi d’attirer les investisseurs et industriels dans une logique public-privé, selon des modalités adaptées à chaque type d’investissement (subventions, partenariats public -privé, …) et à chaque situation (nouveaux projets ou contrats en cours).

 

Cet billet est une synthèse du rapport «Décarboner les transports et les mobilités : quelles réponses efficaces face aux urgences ? » publié par le think tank Terra Nova, le 13 juin 2023.

Le rapport complet est à lire ici.

 

La Caisse des Dépôts, à travers l'Institut pour la recherche, soutient les travaux de Terra Nova, think tank progressiste indépendant qui produit et diffuse des solutions politiques innovantes en France et en Europe.