Le développement des énergies renouvelables (ENR) est affiché comme une priorité par les pouvoirs publics afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Or, l’implantation d’unités de production d’énergie (électricité ou biogaz) est porteuse de fortes conflictualités : la majorité des projets donnent ainsi lieu à des contentieux tranchés par les tribunaux administratifs. Face à cette impasse démocratique, il est urgent de faire appel à des méthodes innovantes pour accompagner et légitimer le déploiement des ENR dans les territoires.

Le développement des énergies renouvelables, entre volontarisme et résistances locales

En 2020, les énergies renouvelables (ENR) représentaient 13.1% de la consommation d’énergie primaire[1] en France, contre 39.2% pour le nucléaire et 27.5 % pour les produits pétroliers. La production primaire d’ENR était assurée à 33% par la filière bois-énergie, à 19.3% par l’hydraulique renouvelable, à 12.7% par l’éolien[2]. Si la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de la France a progressé d’environ 5 points sur les dix dernières années, l’accélération de cette montée en puissance est un objectif affiché par les pouvoirs publics afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Le code de l'énergie prévoit notamment que la part des énergies renouvelables devra représenter plus de 33 % de la consommation finale brute d'énergie et 40% de la production d’électricité en 2030[3].

Ce développement des ENR ne pourra pas être effectif sans le concours actif des territoires. Devant l’urgence d’accélérer les transitions, les scenarii se sont ainsi multipliés pour engager les territoires à des réductions de consommation drastiques, une meilleure efficacité́ et la production d’énergies renouvelables (scénarii négaWatt et Afterres2050, RTE, ADEME).

Récemment, la loi d’accélération des énergies renouvelables (loi n° 2023-175 du 10 mars 2023) a instauré une procédure de planification des ENR à l’échelle des départements, visant à associer les communes à la délimitation des zones d’implantation d’unités de production d’énergies renouvelables.  Ce volontarisme politique (à l’échelle nationale et locale) se heurte cependant à de fortes oppositions, qui se fédèrent autour de différents points litigieux souvent associés au développement des ENR :  opacité et manque de transparence dans le montage des projets, manque de partage de la valeur économique, atteinte à la biodiversité, à la santé des riverains, pollution sonore, olfactive ou visuelle.

Le défi de la participation publique

Face à ces résistances, les appels se multiplient qui incitent à sortir d’une démarche descendante et prescriptive pour faire « participer » les citoyens à la politique énergétique nationale dans ses déclinaisons locales. En accord avec l’article 7 de la charte de l’environnement, consacrant le principe de participation du public aux décisions relatives à l’environnement et au cadre de vie, cet engagement citoyen dans l’élaboration des décisions peut prendre une diversité de formes : débats publics, concertations préalables, enquêtes publiques, consultations locales.

Cependant, les écueils sont nombreux qui limitent l’efficacité et la légitimité de ces démarches participatives. Le risque est connu, en particulier, de les voir mobilisées comme simple outil d’approbation de décisions prises en d’autres lieux. Plus largement, mettre en démocratie la question du déploiement territorial des ENR ne peut se restreindre à ouvrir un espace de négociations portant sur la réalisation ou le dimensionnement de projets isolés ; l’enjeu est bien plutôt, en effet, d’initier des processus de planification globale de la production énergétique à l’échelle de territoires de tailles pertinentes (un canton, une intercommunalité, un département).

La participation citoyenne doit donc s’inscrire dans une démarche scientifiquement et démocratiquement exigeante, visant à élaborer collectivement des solutions techniques qui tiennent compte des spécificités patrimoniales, paysagères, économiques de chaque territoire.

Les « sciences participatives » comme solution innovante

Dans ce cadre, la participation publique apparaît féconde à la fois comme outil de démocratisation des décisions, et comme source de données nécessaires à ces mêmes prises de décision. Définir la planification énergétique d’un territoire demande en effet d’inscrire dans les paysages les chiffres issus des scénarii de transition ; pour ce faire, les savoirs experts apportés par les professionnels du secteur doivent être complétés par une connaissance fine des territoires, elle-même détenue par ses habitants.

On voit donc se dessiner la possibilité de formes originales de participation, où les citoyens s’engageraient à la fois dans la construction d’une expertise territoriale et dans des processus délibératifs prenant appui sur ces savoirs pour bâtir une décision qui soit techniquement pertinente et démocratiquement légitime. Outre la production de savoirs utiles à la décision, cette participation irait de pair avec une montée en compétence des citoyens sur les enjeux liés à la transition énergétique, ce qui faciliterait la tenue de processus délibératifs de qualité, informés et empiriquement étayés. 

Ce type de démarche s’appuyant sur les « sciences participatives » (définies comme la participation de citoyens non professionnels à des activités de recherche, allant de la collecte de données à la définition de questions de recherche) pour appuyer la démocratie participative reste encore peu développé. Un exemple intéressant pour alimenter la réflexion peut néanmoins être cité ici. Le Collectif Paysages de l’après-pétrole (think tank fondé en 2015) a développé et déployé dans plusieurs collectivités l’outil « ETAPE Paysages », visant à impliquer à travers des ateliers participatifs les acteurs locaux (élus et agents publics) dans le partage de données paysagères et patrimoniales.

 

 

Atelier participatif avec l'outil ETAPE Paysages

Atelier de sciences participatives avec l'outil ETAPE paysages

©Auréline Doreau - Collectif PAP

Ces données nourrissent ensuite une délibération portant sur les lieux possibles d’implantation d’unités de production énergétique (éoliennes, panneaux photovoltaïques, centrales hydrauliques ou bois-énergie, pompes à chaleur, ...), leur forme, et la manière dont elles entrent en cohérence avec les paysages. Ce type de dispositif, une fois repensé pour l’adapter à la participation du plus grand nombre, pourrait constituer une solution innovante pour rendre aux citoyens leur capacité à décider, de manière libre et éclairée, de leur avenir énergétique.

 

 

Notes

[1] L'énergie primaire correspond à l'énergie totale contenue dans les ressources naturelles exploitées pour produire l'énergie finale qui est utilisée (après transformation et transport) par les consommateurs. La consommation finale brute d'énergie correspond à la consommation finale (la quantité d'énergie finale consommée par l'utilisateur) à laquelle on ajoute l'énergie dépensée ou perdue pour produire et transporter cette quantité d'énergie.