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Le choc provoqué par l’épidémie de Covid-19 est d’une ampleur exceptionnelle. Il affecte le monde entier et frappe aussi bien l’offre que la demande de biens et services. Résultant probablement d’une augmentation de la fréquence des contacts entre l’humain et la faune sauvage due à l’érosion de la biodiversité[1], cette crise multidimensionnelle nécessite une réaction immédiate et ambitieuse à toutes les échelles.

Le Plan de relance[2] annoncé début septembre 2020 par le Gouvernement français vise à redresser l’économie française par la mobilisation de 100 Milliards d’Euros autour de 3 volets principaux : l'écologie, la compétitivité et la cohésion. Toutefois, sans remise en question de notre modèle économique actuel, l’ère des pandémies ne fait que commencer et les impacts économiques et sociaux ne cesseront de croitre. Il est désormais urgent d’agir pour préserver la biodiversité et la restaurer en l’intégrant[3] dans tous les secteurs de l’économie, afin de construire une société durable, résiliente et solidaire.

Contexte

La pandémie de Covid-19 a vu s’étoffer les recherches pour analyser et expliquer les liens entre réduction de la biodiversité et la prévalence des pathogènes. Il en ressort le constat suivant : plus la biodiversité est importante plus il y a de pathogènes, mais l’ « effet de dilution » réduit la menace pour l’humain. Toutefois, la multiplication des flux mondiaux accroit significativement le rythme d’érosion de la biodiversité et la vitesse de transmission d’une épidémie. La cause n’est ainsi pas monospécifique. Il s’agit plutôt d’une combinaison entre perte de biodiversité, contacts prolongés avec des espèces sauvages, et destructions d’habitats naturels à des fins anthropiques, qui favorise la prévalence des maladies infectieuses. Sans actions fortes en faveur de la préservation et de restauration de la biodiversité, les activités humaines seront compromises en grande partie. Actuellement, 75 % du milieu terrestre est « sévèrement altéré » à par les activités humaines[4] (66% du milieu marin). Le plan de relance pour contrer les effets de la crise Covid‐19 donne ainsi une opportunité inédite de réaliser des investissements de court, moyen et long termes favorables à la biodiversité, afin d’avoir des effets positifs sur les sphères économiques, sociales et environnementales.

 

1. Placer la biodiversité comme priorité

Les conclusions des études réalisées pour comprendre les causes de la pandémie de Covid-19 abondent dans le sens des travaux menés sur les principaux facteurs d’érosion de la biodiversité désormais identifiés, notamment dans le Rapport de l’IPBES intitulé « évaluation des écosystèmes pour le millénaire » (2019)[5]. Au niveau mondial, 5 causes principales ont été identifiés que sont (i) le changement d’usage des sols et des mers, (ii) l’exploitation directe des ressources, (iii) le changement climatique, (iv) les pollutions et (v) les espèces exotiques envahissantes et autres. Actuellement, les activités économiques privilégient les solutions de court terme et apportent des réponses -en grande majorité- orientées vers une maximisation des facteurs de production, et une minimisation des coûts sans tenir compte des impacts régionaux ni des capacités à répondre aux besoins futurs.

Les écosystèmes sont ainsi soumis à des pressions croissantes qui menacent le maintien de leurs fonctions et des services par lesquels ils contribuent au bien-être social[6]. Une part très importante de notre activité socio-économique dépend des ressources naturelles ou de leur usage. Selon l’estimation mondiale la plus complète, la valeur des bienfaits procurés par les services écosystémiques se situe entre 125 000 et 140 000 milliards USD par an[7], soit plus d’une fois et demie le montant du PIB mondial. Il est désormais indispensable de mettre en œuvre des actions fortes en faveur de la biodiversité pour la préserver ou la restaurer au plus vite. Comme le montre le Conseil d’Analyse Économique en septembre 2020[8], les actions en faveur de la biodiversité ont des bénéfices directs et des co-bénéfices économiques importants. En outre, le génie écologique associé à un modèle économique durable et une fiscalité incitative peuvent créer une économie circulaire positive à moyen et long termes.

 

2. Évoluer vers un autre paradigme et adopter une vision systémique

Par le passé, les plans de relance publics ont largement privilégié des infrastructures grises. Aussi, ce plan de relance offre désormais une opportunité inédite d’investir en faveur de la biodiversité. La crise actuelle et ses conséquences multidimensionnelles obligent désormais à repenser le fonctionnement économique à la faveur d’une vision holistique et systémique incorporant pleinement les contributions de la biodiversité aux sociétés[9] (à travers les multiples co-bénéfices des services écosystémiques et non plus seulement les bénéfices directs). Le « business as usual » doit désormais laisser placer à un modèle de moyen et long termes en ne raisonnant plus en silos, mais en adoptant une réflexion et des actions transversales aux différents secteurs d’activités. Souvent, les termes du débat se résument à l’alternative entre la poursuite de programmes massifs d’investissements gris, ou la mise en place de solutions décentralisées, miniaturisées, voire individualisées tendant vers l’absence de consommation. Pourtant, une troisième voie existe : celle de la sobriété. Pour l’atteindre, la quantification des impacts et de l’empreinte biodiversité[10] des acteurs économiques permet de dessiner une trajectoire à suivre pour contribuer à l’objectif de non-perte nette de biodiversité[11].

 

3. Décliner des actions durables et efficientes à l’échelle territoriale

Pour concrétiser les ambitions affichées, il semble désormais incontournable d’expérimenter à l’échelle des territoires, de démontrer l’efficacité et les limites des actions mises en œuvre afin d’instaurer un processus itératif et porteur de durabilité.

La pandémie que nous traversons a très tôt conduit les économies à s’adapter et à se transformer, en favorisant davantage une offre et une demande locales, afin de répondre aux besoins des individus. La prise de conscience de l’importance de la nature au quotidien a permis de faire évoluer les préférences des consommateurs[12], et de ce fait, l’offre. Pour limiter les risques environnementaux dont les conséquences sont désormais perçues par les acteurs économiques, il est indispensable de développer en chaque acteur économique le réflexe de sobriété. Qu’il s’agisse de l’alimentation, de l’énergie, du logement ou encore des activités culturelles et touristiques, la sobriété permet d’instaurer des solutions de proximité répondant au bien-être de chacun.

Pour cela, des mesures en faveur de la biodiversité et de la fourniture de services écosystémiques doivent être appliquées à court terme pour atteindre dès que possible l’objectif de non-perte nette de biodiversité[13]. Il existe une multitude de solutions parmi lesquelles l’application rigoureuse du triptyque Éviter-Réduire-Compenser[14], les Solutions Fondées sur la Nature[15], la lutte contre l’artificialisation des sols et la renaturation[16], l’évolution des pratiques agricoles[17], etc.

À cet effet, le Groupe Caisse des dépôts a formulé un ensemble de 35 propositions visant à intégrer la biodiversité dans la relance post-Covid[18]. Elles ont pour ambition d’enrichir le débat d’idées avec des actions concrètes dont certaines peuvent être mises en œuvre immédiatement et d’autres dans les années à venir.

Conclusion

En dépassant les limites planétaires[19], il sera alors incertain voire impossible de répondre à nos besoins y compris les plus vitaux. Le réflexe de sobriété est désormais indispensable, et la préservation de la biodiversité doit être au cœur des priorités d’actions, pour permettre à chacun de vivre dans un monde en capacité de répondre aux chocs. Conséquemment, la prévention des risques et le bien-être humain passent par la transformation d’une ambition forte en des actions à la hauteur de l’importance qu’à la biodiversité.

 

L'auteur

Sophie Ménard est Économiste de l’environnement au sein de la Mission Économie de la Biodiversité de CDC Biodiversité. Au préalable dans le monde de la recherche et de l’enseignement en économie à l’Université Paris-Saclay, elle a participé à de multiples programmes de recherche sur les instruments économiques au service de la préservation de la biodiversité. Son champ de compétences lui permet de travailler tant sur les modèles économiques, que sur le développement d’outils ou encore la mise en œuvre opérationnelle d’actions avec les territoires. Ce qu’elle effectue en coopération avec les différentes directions de CDC Biodiversité et l’ensemble des partenaires scientifiques, publics, privés, associatifs et citoyens.